lundi 7 avril 2008

Avertissement

Je m'aperçois que j'ai commis une erreur en affichant mon épopée médiévale de cette façon. En effet, on obtient ainsi une sorte de continuité inversée et il faut remonter au premier envoi pour suivre cette continuité. En revanche, mettre les parutions à la suite les unes des autres obligerait le lecteur éventuel à faire défiler tous les chapitres précédents avant de trouver la page qu'il recherche.
Le métier d'auteur est plein de difficultés, tous les analphabètes vous le diront.
D'ailleurs, de roman médiéval est-il lu ? Et pas qui ?
Mystère !

jeudi 3 avril 2008

CECES 2

2 La petite rivière bourguignonne paressait entre ses rives escarpées, s’élargissait en une baie profonde miroitant au soleil avant de plonger dans les entrailles de la terre. Jolie phrase poétique, n’est-ce pas ? Il y en aura beaucoup d’autres, je le sens.
Sur une ronce accrochée au flanc de la berge abrupte, une corneille croassait en guise de protestation contre la brise qui ébouriffait ses plumes noires. Sur une bille de bois jacassait un geai. Quelques canards sauvages glissaient sur l’eau avec des airs suffisants de parvenus, des cygnes du pauvre. De temps en temps, l’un d’eux pivotait sans dignité, croupion en l’air, pour croquer un bulbe de nénufar ou avaler un goujon.
Au loin, sous le soleil printanier, luisaient des toits aux tuiles multicolores. Bon, assez de phrases poétiques, passons aux choses sérieuses.

Ils étaient arrivés la veille au pied des remparts d’un petit bourg fortifié dont Bertrand-Benoît ignorait le nom. Le chevalier aurait voulu entrer dans la place. Plus prudent, Marcelin avait conseillé de faire étape près de la rivière. Ils avaient glané quelques fâcheux renseignements sur le seigneur qui régnait en despote sur le fief. Entouré de truands dont il avait fait sa garde, le comte Bernac, dit Bernac le Maudit, semblait se moquer de la lointaine autorité du duc Jean le Beau., fils de ce Charles le Hardi que d’aucuns baptisaient Charles le Téméraire, peut-être pour éviter qu’on ne le confonde avec Philippe le Hardi Vous vous souvenez de ce dernier ? « Père, gardez-vous à droite », c’était lui à Poitiers, quarante quatre ans plus tôt.
Marcelin irait donc seul en éclaireur, dès le matin, voir si aucun danger ne les attendait derrière les murailles impressionnantes. Bertrand-Benoît avait cédé.

D’une main endormie, il écarta la bouche de Bayard puis s’essuya le visage. Inquiet des gémissements poussés par son maître endormi, le beau cheval bai avait ployé le col, soufflant son haleine fétide au nez du chevalier et lui aspergeant les joues de morve.
- Mais de dragon, poinct ! se réjouit Bertrand-Benoît.
Il choisit une position plus confortable après avoir retiré son épée. Il se gratta encore un peu l’entrecuisse, surpris de la raideur qu’il y trouva. Le souvenir fugace de ses ébats lubriques à l’auberge de Romorantin et des révélations de la belle aubergiste lui revint à nouveau. Il rougit de honte. Il regrettait de plus en plus d’avoir cédé à la tentation tout en s’étonnant du plaisir qu’il trouvait à se souvenir de sa turpitude. Les évènements de Bourges n’étaient pas non plus de nature à calmer les ardeurs de son corps. Il se jura de ne plus jamais retomber dans les excès de la chair, de ne penser qu’au but qu’il s’était fixé : ce pieux pèlerinage à Jérusalem qui ferait de lui un vrai chevalier.
Il pouvait maintenant se rendormir, essayer d’oublier sa faim torturante, souhaiter un prompt retour de Marcelin. Il redouta un moment que le jeune bossu ne l’ait abandonné. Le chevalier ne lui avait pas versé de gages depuis leur départ de Romorantin, malgré ses promesses. Qui sait si l’escholier en rupture de ban n’avait pas choisi un maître plus fortuné ? Il chassa ce soupçon injustifié. En deux semaines de voyage, il n’avait jamais eu à se plaindre de Marcelin Baudet. L’écuyer avait toujours su voler les vivres nécessaires à leur commune subsistance. Et les voler seul, évitant à son maitre de se livrer à de sordides larcins indignes de sa naissance et de son édifiante condition de pèlerin.
En le quittant deux heures plus tôt, le garçon l’avait rassuré.
- Ne vous inquiétez pas, sire chevalier. Les argousins de Bourgogne ne vont pas à la cheville des archers de Paris. Si j’ai échappé aux uns, je saurai d’autant mieux me soustraire aux autres. Quant aux gens de mauvaise vie, larrons, truands et coquillarts, je ne suis pour eux qu’une bien maigre proie.
- Méfie-toi pourtant, garçon. Les sbires de Bernac le Maudit ne sont pas tendres. Tu sais ce qu’on nous a conté hier soir dans cette auberge où on nous a refusé le gîte et le couvert. D’ailleurs, je ne sais pourquoi.
- C’est parce qu’on nous prenait pour des espions du comte.
- L’aubergiste a bien vu et entendu que nous n’étions pas de Bourgogne.
- Alors il nous prenait pour des espions du roi de France.
- Et ce matin même au lavoir, tandis que j’abreuvais Merline et Bayard ? J’ai frémi à ces histoires de bains de sang dans lesquels se plonge le comte.
- Racontars de vieilles folles, messire. La plus jeune des lavandières assurait qu’il ne s’agissait que de bains de vin.
- En Bourgogne, cela me parait plus justifié, dit le chevalier un peu rassuré.
-. On dit que les seigneurs qui prennent de tels bains revendent ensuite le vin. Il n’y a pas de petits profits, mais je me demande si le vin n’est pas un peu gâté. À ce propos, que désirez-vous boire et manger ? Avez-vous une préférence pour le vin ?
- Je bois de l’eau, a rappelé Bertrand-Benoît.
- La viande ? Vous avez tué six lapins et deux lièvres en une semaine et je commence à m’en fatiguer. D’autant que vous engouffrez les cuisses et le râble et ne me laissez que les têtes et les pattes de devant.
- Et le foie, Marcelin.
- Il est bien connu que le foie de ces animaux craintifs risque d’ôter tout courage à ceux qui le consomment.
- Craintifs mais rapides; et leur chair te permet de courir plus vite.
- Je serais mieux nanti avec les pattes de derrière. Tâchez d’abattre quelque volatile, cela me donnera des ailes. Quoiqu'il n’y ait pas gros à manger dans un moineau. Votre filet a remonté quelques carpes dont j’ai horreur...
- et des anguilles, Marcelin.
- ... qui me dégoûtent. Et il y a deux jours de cela.
- Ne m’as-tu pas dit qu’à ton collège tu faisais maigre chère ?
- Raison de plus pour ne pas continuer aujourd’hui.
- Nous pourrions ramasser des escargots...
- Pouah !
- Des grenouilles ?... Non plus ? Alors, essaie de trouver du pain, du fromage. Un jambon, un pâté de venaison, une tourte, des pommes feraient aussi notre affaire. Si tu croises une poule sur ton chemin..
- N’en dites pas plus, sire Chevalier..
- Essaie de te souvenir du nom des marchands où tu commettras tes rapines.
- Leur nom ? s’étonna l’écuyer. Pour en faire quoi ?
- Pour les mêler à nos prières du soir, dit le Chevalier Errant avec onction. Nous leur devons bien ça.
- Oui, concéda Marcelin. D’autant plus que les prières ne nous couteront pas plus cher que les victuailles.

Avant de chercher un repos qu’il espérait cette fois sans mauvais rêve, Bertrand-Benoît eut le temps de s’avouer que tout n’était pas rose dans la vie quotidienne d’un Chevalier Errant...
Mais le sommeil le fuyait. Le murmure de la petite rivière ne le berçait pas. Il l’invitait au contraire à profiter de la fraîcheur de l’eau. Quoi de mieux qu’un bain de rivière pour chasser les brumes du cauchemar et calmer les ardeurs de la chair ? Le souvenir de ses délices romorantinaises avait rallumé en lui un feu coupable qu’il était urgent d’éteindre. Ses hallucinations n’avaient fait qu’attiser sa concupiscence en lui dévoilant les trésors peu cachés d’une Renoncule dénudée.
Le Chevalier se releva, se dépouilla de ses vêtements et se montra bientôt comme Adam avant la faute. Seule différence avec le Père de l’humanité, Bertrand Benoît possédait un nombril. La Margoton lui avait maintes fois fait remarquer l’erreur des peintres, enlumineurs et copistes qui attribuaient à Adam ce nombril qu’il ne pouvait avoir. La vieille picarde avait aussi dénoncé le peintre justement inconnu dont un tableau ornait l’église de Monesto. La crèche était traditionnelle et l’enfant Jésus rondouillard à souhait. Cependant, le crucifix accroché au mur de l’étable était au moins anachronique. Non, prémonitoire, affirmait le bedeau.

Nu, Bertrand Benoît piqua une tête dans la crique. Il pataugea quelques secondes, riant sans raison. Saisi par la fraîcheur de l’eau, il soufflait comme un chien fou. Puis il effectua quelques brasses puissantes pour échapper au courant et éviter d’être entraîné vers le gouffre. Il tenta vainement d’attraper un canard en plongeant sous l’eau pour saisir les pattes de l’oiseau. Il espéra trouver quelque truite et explora les chaves de la berge. Déçu de ses échecs, il sortit enfin de la rivière. Il s’étira voluptueusement, tourna lentement sur lui-même, offrant son corps au ciel bleu pour que le soleil sèche son dos musclé aux fesses fermes, son torse imberbe, son ventre plat, sa verge gonflée de jeunesse et que la fraicheur du bain n’avait pas apaisée...

- Oh ! Oh !

Le cri double jaillit en même temps des bouches d’une jolie jeune femme d’une bonne trentaine d’étés et d’une fille qui n’avait pas connu seize printemps. Cris de surprise empreints d’une incrédulité teintée d’admiration.
Bertrand-Benoît se retourna. Les nouvelles venues étaient figées à la lisière du petit bois de saules bordant la rivière. Leur ressemblance les désignait comme mère et fille. Leur tenue élégante qui annonçait de bonnes bourgeoises fortunées avait été malmenée par une course à travers bois. Le hennin de la mère avait perdu son voile et la moitié de la longue jupe de drap damassé avait dû rester accrochée à un buisson, si elle n’avait été arrachée par une main paillarde. Le bourrelet de toile orné d’un ruban doré qui retenait les longs cheveux de la demoiselle, posé de travers, était taché de boue. Son bustier de velours cramoisi était lacéré et révélait une poitrine haute et ferme dont les tétins à peine colorés se durcissaient au petit vent du matin.
Elles continuaient à le regarder, immobiles. Le Chevalier Errant se rendit compte que les yeux des deux inconnues restaient braqués sur cet endroit du corps qu’on nomme parties nobles pour les hommes, parties honteuses pour les femmes. Un manque d’impartialité que lui avait souligné la trop tendre aubergiste de Romorantin en se livrant à des comparaisons dans le souci évident de parfaire l’éducation de Bertrand-Benoît.
Les regards des femmes ranimaient si besoin était le brasier de lascivité allumé par Satan. Le goupillon du Diable, disait le curé de Monesto qui ne se privait pas d’en bénir ses paroissiennes. Le chevalier essaya de se rappeler pourquoi il était là, d’évoquer le but pieux qu’il s’était fixé, le vœu qu’il avait formé le dimanche de Pâques. Il ne pouvait pas se protéger en touchant du doigt le nœud de ruban attestant son serment, cousu à ses vêtements toujours pendus au saule. Il se résigna à capituler devant ce qui semblait être sa destinée.

Il ferma un instant les yeux, hocha la tête et soupira :

- Oh non ! Ça ne va pas recommencer...

Eh bien, si.

*